L’hémodialyse quotidenne à domicile :

L’avis d’un expert, Dr FESSI.

Pour nous éclairer, le Dr. Hafedh Fessi du CHU de Tenon à Paris, expert de l’hémodialyse en France, répond à vos questions

Officiel Santé : Pourriez-vous nous présenter selon vous les intérêts cliniques de l’hémodialyse quotidienne à domicile ?

Dr. Hafedh Fessi : « L’hémodialyse à domicile était la 1ère technique utilisée en France au début des années 70. Après une baisse constante, elle vit depuis 2012 un second souffle avec un intérêt porté plus particulièrement sur l’hémodialyse à domicile quotidienne (HDQ). Cette reprise d’intérêt est motivée par plusieurs facteurs. Pour les néphrologues, il s’agit de la recherche des facteurs permettant de réduire la morbimortalité et d’améliorer la qualité de vie des patients. La dialyse conventionnelle 3 fois par semaine avait montré ses limites pour atteindre ces 2 objectifs. L’une des voies qui s’est ouverte a mis l’accent sur l’importance de la fréquence et de la durée hebdomadaire de dialyse (4, 5, 6 voir 7 séances), de courte durée (2 à 3 heures). L’étude FHN (Fréquente hémodialyse Network), publiée en 2010, a montré que la dialyse fréquente améliorait les aptitudes physiques, réduisait l’hypertension, améliorait la fonction cardiaque et réduisait le taux de phosphate dans le sang. D’autres études plus récentes, comme l’européenne KIHDNEy, ont confirmé l’intérêt de la fréquence. Cette méthode ne peut pas se faire facilement dans les Centres. Il s’agit donc d’une méthode beaucoup plus compatible avec le domicile. Ces résultats cliniques sont des éléments importants qui motivent les néphrologues à proposer aux patients ce traitement qui améliore la qualité de vie et réduit la morbidité ».

Officiel Santé : Quelles sont d’après vous les bénéfices ressentis par les patients ?

Dr. Hafedh Fessi : « Pour le patient, il y a plusieurs intérêts majeurs. Mais tout d’abord, il faut souligner que le patient est devenu un acteur décideur, actif dans son traitement. Aujourd‘hui, Il a donc le choix de la méthode qui lui convient le mieux. Le patient est à la recherche de l’amélioration de la qualité de vie, de plus de souplesse et de flexibilité afin de réduire le poids de la maladie et du traitement. Et cela avant même de parler de Morbidité ou Mortalité ! Lorsque ces patients sont traités par cette méthode dès les premières semaines, ils remarquent une moindre fatigue et un temps de récupération plus court. De plus, l’HDQ leur offre d’autres avantages, en l’occurrence la souplesse dans les horaires de dialyse et la flexibilité dans les jours OFF (dans le cadre d’un déplacement par exemple). Pour certains, la mobilité est particulièrement recherchée, et les nouveaux équipements de dialyse à domicile leur permettent de voyager avec leur machine. Enfin, l’HDQ leur permet une meilleure réhabilitation et réinsertion socio-professionnelle».

Officiel Santé : Est-ce que les patients qui choisissent l’hémodialyse à domicile sont satisfaits de leurs choix ?

Dr. Hafedh Fessi : « Les patients qui expérimentent cette technique ne souhaitent pas, pour la très grande majorité, revenir à la dialyse en centre. Les sorties de technique représentent un pourcentage particulièrement faible (dans notre cohorte à Tenon cela a concerné 6 patients sur 80, soit 7,5% en 6 ans), elles surviennent pour la plus part la 1ère année. Il faut noter que cette technique est proposée aussi aux patients en attente de greffe et la majorité des sorties sont en rapport avec la transplantation rénale. Avec l’HDQ, la qualité de vie des patients s’améliore. L’analyse des questionnaires semestriels de qualité de vie (SF36-KDQOL) dans notre centre montre une amélioration nette de la perception physique et mentale avec des scores équivalents à ceux des patients transplantés.

Officiel Santé : Beaucoup de néphrologues limitent cette thérapie aux patients, jeunes et actifs.Or il semble que cela puisse convenir à un large panel de patients. Qu’en pensez-vous ?

Dr. Hafedh Fessi : Je suis tout à fait d’accord avec cette dernière affirmation. Cette technique peut convenir aux patients qui le souhaitent qu’ils soient autonomes ou avec un aidant. Le patient adapté est le patient qui est motivé pour cette technique, il l’a choisi lui-même. Il est acteur et décideur. L’équipe d’éducation est là pour l’informer, lui communiquer les tenants et aboutissants de chaque modalité de dialyse, lui expliquer le projet de l’autonomie et les avantages qu’elle procure. Le meilleur indicateur de la réussite de cette information est que 30 % des patients choisissent l’HDQ en tant que technique de départ, sans être passés par les autres méthodes. Nous n’avons pas à choisir à la place des patients. De même qu’il n’y a pas de patient idéal. Cela serait un fantasme construit dans notre imaginaire ; « … il faut que le patient soit jeune, intelligent, sans comorbidité… » : Ce profil patient n’existe pas ou très peu !

Officiel Santé : Quelle est la raison du regain d’intérêt pour l’hémodialyse à domicile ?

Dr. Hafedh Fessi : « Il y a plusieurs raisons du regain d’intérêt. Le regain d’intérêt commun soignant / patient, vient du fait d’avoir constaté les bienfaits de cette méthode sur l’amélioration de la qualité de vie des patients, à la fois sur leur perception physique, mentale, la fatigue, le temps de récupération, ce qui leur permet une meilleure réhabilitation. L’autre raison est l’arrivée de machines adaptées au domicile, c’est-à-dire de petite taille, non imposantes, qui ne rappellent pas les grosses machines de Centre. Elles sont faciles d’utilisation, rapides à préparer, pas besoin de traitement d’eau (le dialysat est prêt sous forme de poches), simples dans la surveillance et la gestion des séances. Le gain de temps est absolument indéniable. Ces évolutions technologiques ont été indispensables pour développer la dialyse à domicile. La dernière raison, mais qui est également la moins pertinente de toutes les causes avancées pour un regain d’intérêt, c’est la possibilité de réaliser des économies sur le coût global de prise en charge de la dialyse.

Officiel Santé : Quels sont d’après vous les obstacles au développement de L’hémodialyse à domicile en France et comment les atténuer ?

Dr. Hafedh Fessi : « Les principaux obstacles sont liés au patient, à l’organisation du centre, à la réglementation et au système de remboursement de l’hémodialyse à domicile. L’obstacle lié au patient est dû avant tout au manque d’information (un patient ne choisit pas une technique sur laquelle il n’a pas été informé), au besoin d’acceptation par lui et/ou par sa famille d’un équipement médical au domicile, nécessitant un espace pour la réalisation de la séance et pour le stockage des consommables. Il existe des obstacles liés au Centre de dialyse et de formation, qui doit mettre en place l’organisation adéquate permettant de prendre en charge complètement le patient : Absence d’espace dédié à la formation et au repli, pas d’infirmière experte, pas de temps libéré pour l’assistance à distance au traitement… Si le centre n’est pas bien organisé, le développement de la technique dans la structure est voué à l’échec. Un autre obstacle, cette fois -ci réglementaire, il est lié à l’obligation en France de la présence de tierce personne pendant la séance de dialyse à domicile. Une note a été rédigée par les Associations de patients et adressée à la Ministre de la Santé en septembre 2018 demandant la suppression de l’exigence de tierce personne pour les patients complètement autonomes sur l’auto-soins. Les patients qui ont choisis cette technique sont formés et s’ils sont complètement autonomes, ils n’ont pas besoin de l’aide d’une tierce personne pour la gestion de leur séance. L’exigence de tierce personne prive des patients vivant seuls ou séparés, de bénéficier de la méthode. 95 % des patients qui ont une tierce personne déclarent que, lorsqu’ils font une dialyse, leur aidant n’est pas présent à leur côté. Le dernier obstacle, majeur, est lié au taux de remboursement de la séance de dialyse à domicile, aujourd’hui faible par rapport au coût réel de la séance et place cette méthode en grande difficulté pour son développement. Cette technique permet des économies importantes sur le coût global de dialyse. Les établissements de santé qui la pratiquent doivent pouvoir couvrir les frais engagés, à la fois pour les moniteurs de dialyse et les consommables, la logistique et l’érythropoïétine. Pour atténuer les freins au développement de l’hémodialyse quotidienne en France, plusieurs actions sont nécessaires. Parmi les plus importantes, une meilleure information des patients, meilleure formation des jeunes néphrologues à cette technique afin de les rassurer, enlever l’obligation de la tierce personne et améliorer le taux de remboursement. Travailler sur ces éléments clés permettra de développer la technique à plus grande échelle et en faire bénéficier un plus grand nombre de patients.